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Beijing hutong de shenghuo
30 janvier 2009

Delta du Mékong

IMG_2656Le long des rives du Mékong au matin, à l’heure où l’eau boueuse et presque stagnante dégage encore une brume légère, le bateau s’engage dans les canaux de l’île An Binh. Le jeune pilote est accompagné de sa petite amie, silencieuse au fond de l’embarcation, à laquelle il conte fleurette lors des escales inintéressantes qui ponctuent la promenade (pépinière d’arbres fruitiers, rice popcorn explosant au contact du sable noir chauffé puis tamisé, boutique de souvenirs où l’on chante Frère Jacques en vietnamien aux touristes français). Le jeune home conduit le pied nonchalamment posé sur le volant, les bras croisés et ses oreilles décollées dépassant de la casquette. Le bateau à fond plat, surmonté d’un auvent d’osier qui dessine un arc convexe de la proue à la proue, passe devant les maisons basses du delta, toit de feuilles de palmier tressées et murs de tôle ondulée (ou l’inverse), maisons vertes ou roses avec terrasses à colonnades, cabanes de bois sur pilotis flanquées d’une petite cabine-toilettes ou simple pièce de briques brutes. La grande pièce du devant, toutes persiennes ouvertes, donnant sur le fleuve, on peut voir de loin luire au fond l’autel fleuri et la télévision déjà allumée. Enfants et vieillards, hommes et femmes, peuple de l’eau accroupi sur la plate-forme au-dessus du fleuve, un fleuve qui se fait cuisine pour laver la vaisselle et rincer les légumes, buanderie pour frotter le linge sur une planche, salle de bains pour les ablutions et se laver les dents ou baignoire pour s’y plonger en slip jusqu’à la taille et se gratter énergiquement sous les aisselles, piscine pour une petite fille en pyjama rose fuchsia qui fait des bombes depuis le ponton, affluvit en se bouchant le nez et remonte en nous faisant de grands signes ; mais aussi fleuve qui se fait fontaine pour y puiser des seaux et des arrosoirs pour abreuver les bougainvillées roses, fleuve-poubelle pour les épluchures de fruits, les sacs plastique, les barquettes de sagex, vivier pour les poissons-anguilles, terrain de jeu pour les grenouilles, enclos pour l’élevage des canards blancs, égout des eaux savonneuses et usées.

D’un des bateaux-maison à proue bleue et yeux rouges, blancs et noirs de part et d’autre, au bout de laquelle brûle l’encens devant l’autel encadré de fleurs fraîches orangées, un jeune homme enveloppé de ses couvertures surgit en se frottant les yeux. Au large de l’île, les couples de pêcheurs relèvent les nasses qu’ils ont traînées dans leur sillage en remontant le fleuve à contre-courant. Au marché flottant de Cai Be, fermé pour cause de festivités du Têt, les famille habitent plusieurs bateaux amarrés côte à côte et sur les ponts de poupe derrière les cabines de pilotage, les cordes à linge laissent onduler des banderoles de drapeaux dépareillés de chaussettes, pantalons et chemise colorés et délavés. La rue principale, où circulent des barges plates que godillent des rameuses debout, est un bassin sur lequel donnent les boutiques, les cafés aux chaises lilliputiennes, la station d’essence et l’église qui trône au bout de cette longue rue aquatique.

La vie nonchalante de l’après-midi à l’heure de la sieste se déroule aussi lentement que s’écoulent les eaux figées charriant leurs grappes de jacinthes d’eau, bouquets mouvants de tiges souples et de racines sans ancrage parsemés de fleurs blanches qui enlacent les arbres immergés jusqu’à la taille, bouchent certains canaux secondaires et colonisent à la dérive loin au large du golfe du Siam. Dans les barques-pirogues, un pêcheur semble échoué dans une prairie, une femme édentée trie les escargots d’eau par taille et espèce, une famille s’affuble de casques de moto en lieu et place du traditionnel chapeau conique attaché sous le menton par un foulard aux couleurs vives. Sur les terrasses ombragées, des pieds nus ou des yeux curieux éveillés par le bruit du moteur dépassent des hamacs, des enfants s’élancent pour nous suivre en courant de bananier à cocotier sur le sentier qui borde la berge, creusé par les allers-retours des motos pétaradantes,  des femmes parlent et rient en berçant des nourrissons, des bambins rafraîchissent leurs fesses nues sur le carrelage à motifs verts et blancs.

Sur les arches graciles enjambant les canaux, motos et vélos se croisent à coups de klaxon et sonnette. Sur les vélos, lesIMG_2753 jeunes filles qui rentrent de l’école en uniformes qui n’en sont pas et ont la grâce de l’habit traditionnel féminin : tissu blanc vaporeux, longue robe près du corps, à manches longues haut col, fendues jusqu'à la taille et portée sur des pantalons légers et flottants. Sur les motos, leurs aînées chevauchent, harnachées des pieds à la tête par peur d’obscurcir leur teint : casque de moto rose à Snoopy, visière et mentonnière, lunettes de soleil, masque chirurgical en coton fleuri, gants longs de nylon blanc ou de laine fluorescente, veste de survêtement à capuchon, jeans serrés à paillettes, chaussettes rayées à gros orteil séparé dans les tongs à talons.

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Commentaires
A
Les souvenirs remontent en lisant ta prose et m'emballent d'une douce chaleur qui fait défaut dans notre salon d'où on voit la neige... J'aimerais bien y être encore, merci pour ces beaux et vivants instantanés.<br /> p.s: à ton retour, j'exige de t'accompagner lors de tes chroniques gourmandes!!!
Beijing hutong de shenghuo
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