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Beijing hutong de shenghuo
13 décembre 2006

Canton mah-jong

IMG_0429IMG_0424Canton, le mercredi 13 décembre
Le hasard qui distribue les pièces de mah-jong bei-nan-xi-dong (les quatre vents nord-sud-ouest-est) disperse les destins aux quatre coins cardinaux mais, si quatre joueurs se rassemblent autour d'une table, la bonne fortune et la poisse se concentrent et s'évaporent en un clin d'oeil entre les mains avides. Au pire, ce ne sera qu'une longue nuit de malchance aux cliquètements du plastique double face des tuiles (recto blanc et figures, verso vert translucide). Le bruit léger et caractéristique du mélange des pièces attire l'oeil, qui se glisse par la fente d'un volet dans une piece obscure louée à la journée, attire le regard de l'acheteur vers un recoin sombre de l'arrière-boutique, où la patronne et ses amis passent le temps en lui conférant l'intensité du suspense, attire les pas vers un un coin de ruelle. Bien que les parieurs, à partir de Canton et jusqu'à Kenting (extrême sud de Taïwan), ne se cachent plus dans de vieilles chambres d'hôtel comme sur le Bund de Shanghaï (voir les description de parties de mah-jong sous la proscription républicaine -puis communiste- en 1957, dans le Chant des regrets éternels de Wang Anyi, 2ème partie, pp. 289-340, chapitres 8-10), le mah-jong garde toujours la saveur de l'interdit et de la clandestinité, dans cette habitude de se retirer des lieux de passage, dans celle de glisser discrètement les billets pliés ou de les accumuler dans un des petits tiroirs qui s'ouvre à chaque flanc de la table, dans le silence tendu ponctué d'injures et d'insultes qui plane autour des joueurs, aussi dense que la fumée des cigarettes nerveusement tirées qui se consument comme des bâtons d'encens dans les cendriers.
IMG_0428Le visage anéanti de fatigue par la longue veillée qui se prolonge parfois jusque dans l'après-midi, les traits effacés par la nervosité qui les sous-tend, le reste du corps presque indépendant des mains qui virevoltent pour attraper une pièce et la rejeter négligemment ou la placer adéquatement dans la rangée ordonnée verticalement pour cacher aux autres joueurs la série mystérieuse qui s'y forme en signes cabbalistiques (une "main pure", série composée uniquement de tuiles de la même série, par exemple), les doigts qui pianotent sur le tapis vert, jouent avec dextérité avec une pièce, jonglent pour aligner une ligne parfaite, les yeux exorbités priant pour transpercer le vert muet et trouver le chaînon manquant, le regard voilé par le mur impénétrable du secret ou troublé par la fourberie du menteur de poker, hommes et femmes de tous âges oublient toute une nuit leur vie dans ces lieux dignes des films noirs de la prohibition (une chambre secrète au fond d'une salle de billard, un carré qui contient tout juste quatre joueurs et une table au mécanisme sophistiqué qui mélange automatiquement les pièces en sous-main tandis que les nouvelles tuiles surgissent des quatre ouvertures diagonales pratiquées dans le tapis vert).
IMG_0425Les personnages, eux aussi, semblent tout droit sortis de l'ère al caponienne, d'un film de kung-fu de série B hong-kongais ou d'un Fassbinder: petites frappes dégingandées et ruinées qui espèrent se refaire avec l'énergie du désespoir; vieilles femmes sans sourcils, qui fument de fines cigarettes d'importation plantées dans des porte-cigarettes patinés de sueur, pour ajouter un écran supplémentaire à la plaque de fard, au rouge qui s'infiltre dans les rides et à la permanente teinte; mains parkinsonnées aux ongles incurvés et jaunis qui agrippent comme des serres; yeux infiltrés d'alcool et de sommeil qui ne cillent plus sur les pupilles rétrécies et les prunelles jaunes injectées de sang; poussahs masculins et féminins qui débordent des tabourets, tendent avec peine leurs mains potelées vers des tuiles inatteignables et dissimulent toute émotion sous le clapotement de la chair, le craquement des graines de pastèque et le bruissement des cacahuètes qu'ils décortiquent comme mus par un étrange automatisme; et les fantômes imperceptibles, ombres effacées sans signe particulier qui ne gagnent ni ne perdent jamais suffisamment pour qu'on les remarque.

Ye ye ye ma, du dramaturge taiwanais Ji Weiran (essai de traduction, dernières répliques de la pièce)
Le poète: Merde. Il fait jour.
Shan Zhu: Putain, le temps file.
Peter: Qu'il aille se faire foutre. Je vais en faire un fantôme qui se couche jamais. (...) Regardez, si je tire les rideaux, c'est comme s'il faisait nuit, non?
Ma Ke: Excellent. (...)
Le poète: Parfait (Il montre l'horloge arrêtée.) Zéro heure, zéro minute, le temps s'est arrêté pour nous.
Shan Zhu: Allez, on continue.
Peter: Jouons, jouons jusqu'à l'attaque cérébrale.
Shan Zhu: Jouons jusqu'à en vomir notre sang.
Peter: Jouons jusqu'à l'éternité.
Ma Ke: Jouons jusqu'à la fin du monde.
Le poète: Jouons des nuits et des nuits...
(Ils continuent à jouer.)
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