Canton, Shamian

Canton, le mardi 12 décembre

Le quartier colonial de Shamian semble d'abord une vieille carte postale aux bords dentelés retouchée au pastel. Aux premiers pas le long de la rivière, sous les arbres tropicaux et la douce lueur des globes de verre dépoli, le quartier, d'un calme troublant à quelques mètres à peine d'échangeurs et de croisements de Luna Park, paraît plongé dans l'ambiance surannée et nostalgique des bâtiments de plâtre vert pâle ou vieux rose écaillé, à colonnades blanches, aux cours de pavés descellés par l'invasion des mauvaises herbes, aux hautes croisées fermées par les plantes grimpantes, aux murs mouvant aux ombres portées des lianes des banyans...
Peu à peu cependant, Shamian se révèle le théâtre d'un autre trafic. Les poussettes surgissent à chaque coin de rue, les arcades ne présentent en vitrine que des habits taille 3 mois à 1 an, des biberons, des paquets de langes et de lait en poudre, des thermomètres pour le bain, des hochets et des peluches... La moitié des bâtiments de Shamian est en effet occupée par des bureaux administratifs délivrant en exclusivité pour toute la Chine tous les papiers nécessaires à l'adoption par des étrangers de petites Chinoises: obscures autorisations, changement de nom et de prénom, ensevelissement des origines, visas spéciaux et autres mystérieuses procédures, probablement kafkaïennes, puisque l'autre moitié des bâtiments de Shamian est dévolue à l'hébergement longue durée de ces couples rougeauds à la quarantaine épanouie qui poussent, rayonnants, des landaus piaillants et sanglotants. Sur les terrasses des bars à vin et des restaurants de pizzas et de hamburgers, les nouveaux parents comparent les petites filles, apprennent à langer et biberonner et inculquent leurs premiers rudiments d'anglais et d'acculturation à des bébés dont les yeux abridés s'arrondiraient presque de stupéfaction devant tant d'envahissante tendresse.