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Beijing hutong de shenghuo
7 décembre 2006

Shanghai-Guangzhou, 26 heures de train

Ce ne sera qu'une énumération au rythme des tchoutchou du train, comme tous ces souvenirs qui ne font qu'accumuler faits, dates, noms, impressions, sans parvenir à leur donner une forme de récit...
Ce furent donc des complicités voyageuses
IMG_0395- d'échanges conversationnels (autour des cendriers placés entre deux wagons), même si les questions quelque peu répétitives du rituel commencent à lasser au bout de la vingtième fois: mariée ou non (je change les réponses et les histoires pour varier un peu), nom, lieu d'origine, âge, profession, couleur de cheveux naturelle ou non, habituée à la nourriture chinoise, habitudes alimentaires européennes, lectures, lieux visités en Chine, langues parlées, nombre d'enfants (et la morale subséquente à la réponse aucun), parents (on recommence: profession, âge, nom, lieu de résidence...), lieu de destination, raison du voyage???????????,


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- d'intimités partagées: ronflements, tours de veille et sommeil, odeurs diverses, du rot, du pet et des pieds puants (les chaussettes de nylon, encore elles), brossage de dents, queue aux toilettes, réveil à la bonne gare, déshabillements et rhabillements, changements constants chaussures-pantoufles, surveillance mutuelle des bagages,
- d'occupations individuelles ou privées: dormir, manger, lire, fumer, bavarder avec son compagnon de voyage, envoyer des sms, parler au téléphone, jouer aux cartes, allumer son ordinateur portable pour jouer, écrire, regarder un film, éplucher des fruits, décortiquer des graines de tournesol, regarder par la fenêtre, rêvasser allongé sur sa couchette, observer ses voisins - ou le wagon entier -, chercher un truc indispensable dans sa valise, en équilibre entre l'échelle des couchettes et le porte-bagages au-dessus du couloir de passage, en s'écartant chaque fois que quelqu'un traverse (exercice encore plus périlleux de nuit, puisque l'extinction des feux est fixée à 22h... ah, ah, j'ai une lampe de poche), faire des aller-retours eau chaude pour le thermos ou organiser ses déchets en vue d'une expédition poubelle, prendre des photos, discuter avec la fuwuyuan du wagon pour qu'elle vous réveille à la bonne gare, balaie bien autour de votre groupe de six couchettes, vous avertisse quand il faut remonter dans le train avant qu'il ne démarre quand vous êtes tiraillé par un horrible dilemme entre demi-douzaine d'oeufs au thé ou demi-livre de baozi, vous remette votre ticket sans lequel vous ne pourrez plus ressortir de la gare de destination, lui demander du savon, du PQ ou de la crème pour les mains, et pour pouvoir lui tirer le portrait quand, impeccablement sanglée dans son uniforme, sans une mèche qui dépasse, elle forme avec ses congénères une retahila (file) surréaliste à la bordure d'un quai déserté,
- de gourmandises partagées: un quartier de pomme ou de poire, une mandarine, un horrible gâteau crémeux ultra-sucré que vous croquez à belles dents en mimant le délice et en attendant la première occasion pour aller subrepticement le jeter dans une poubelle éloignée de votre wagon, les odeurs mélangées de toutes les saveurs de fangbianmian - les gros bols de nouilles séchées toutes prêtes, assorties de sachets d'assaisonnement - aux piments à la sichuanaise ou façon ragoût a la dongbei (nord-est), à la viande, aux légumes ou aux fruits de mer, que chacun agrémente à sa façon en y ajoutant légumes séchés, oeufs cuits durs, pattes de poulet, filaments de calamar ou de viande séchés, saucisses orange fluo... Des chariots de fruits et de boîtes de sagex de fan -riz, légumes, viande- traversent les wagons (accompagés de leur mélopée) et, aux gares, on se précipite sur les quais pour prendre d'assaut les chariots qui proposent des baozi, de l'erguotou (alcool blanc dégueulasse), des cuisses de poulet plus ou moins en chair, des soupes aux algues, des oeufs au thé, des plats simples dans des assiettes de carton ou de bois, des boissons. A chaque gare, de Shanghai à Canton, on découvre de nouvelles spécialités qui accompagnent la descente vers le Sud.
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- de paysages qui défilent: alternance de montagnes et de plaines quadrillées de cultures, les bas-côtés de la voie couverts de détritus, des terres de couleurs en dégradés de verts-jaunes-rouges-bruns-gris, des petites bourgades de maisons toutes identiques sur les terrasses desquelles sèchent des enfilades de culottes, soutien-gorges, chaussettes, pulls et pantalons, dont les couleurs bariolées mais délavées semblent animer de leur lent balancement le long des barres de bambou l'uniformité des murs gris béton, rouge brique ou blanc catelle délavé, la végétation de plus en plus luxuriante, banyans et palmiers remplaçant peu à peu les arbres rachitiques et dénudés des collines pratiquement déboisées du nord, des montagnes pelées béent les cicatrices ouvertes des pierrières, amoncellement des dépôts de charbon, rivières jaunâtres rampant sous des ponts délabrés...

Une campagne qui dément, même sur la côte, la modernité criante et ennuyeuse de la Gare du Sud de Shanghai (Nanzhan), stade circulaire et aseptisé qui annihile tout le charme des gares chinoises. Plus de vendeurs à la sauvette, ni de piles de paniers de roseaux fumantes regorgeant à chaque étage d'une nouvelle variété de baozi, plus de vendeurs de sacs à fourbis quadrillés bleus et blancs, ni de marmites bouillonnantes ou plonger les jiaozi (ravioli) sous l'écume. Plus que des boutiques vitrées éclairées au néon, aux étagères chargées de produits sous vide et de pyramides de fangbianmian. Plus de queues dandinantes qui aspirent à se précipiter dans les salles d'attente par des portes trop étroites, plus de ces serpents de mer qui enflent et s'étirent sous la poussée comme une colonne de fourmis dont chacune pousserait et tirerait son poids de sacs de sport craquants aux coutures, de cartons disparus sous les couches de scotch, de sacs à carreaux qui courbent l'échine des porteurs. Plus que des voyageurs conditionnées qui descendent en pente douce dans l'arène du stade, jeux du cirque ou vél d'hiv sous serre éclairé d'une verrière. Plus de mingong rentrant au village endormis sur leurs sacs devant la gare en d'interminables attentes de correspondance, car il n'y a tout simplement pas de place publique autour de la gare, encerclée uniquement d'une route pour les taxis et les autobus. Plus de salles d'attente  bondées (chacune attribuée à un ou plusieurs trains, certains partant le lendemain) qui, entre les rangées de chaises-baquets en plastique jaune, débordent de bagages disparates et de familles accroupies, couchées ou assises en cercle.
Heureusement, quitté cette espèce d'hopital de la migration, les wagons de couchettes dures reprennent vie et les cohortes de voyageurs, déposées comme des cailloux blancs dans des gares intermédiaires au milieu de la nuit, ont toujours ce même aspect hétéroclite d'yeux bouffis de sommeil, d'enfants endormis bavant sur une épaule, de ahanements poussifs et de cris d'encouragement, drôles de queue-leu-leues d'un père soutenant d'une main une vieille dame appuyée sur sa canne et tirant de l'autre une valise aux roulettes coincées que pousse la mère, remorquant par un pan de sa veste une petite fille à couettes en larmes qui laisse traîner sa couverture sur le quai.

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