Lijiang
14 février, Lijiang
Non ce n'est ni la bière ni les herbes du Yunnan qui causent mes dérives
lyriques, peut-être est-ce seulement qu'à mesure que je m'éloigne des sentiers
battus je déraille complètement, ou alors c'est l'altitude, ou le café du
Yunnan (ouiii, on boit du café ici, youpie), ou que l'absence de virgules et parenthèses, indispensables à la compréhension de mes digressions vous a quelque peu désorientés. Je vais essayer d'être plus explicite, moins expressionniste, plus réaliste, moins
surréaliste... dommage. Ce qui peut paraître par
ailleurs un voyage à la japonaise est en réalité une route parsemée d'étapes vers le Nord du Yunnan pour voir finalement une société matriarcale (ne t'inquiète pas, Cécile, je m'arrêterai s'il y a des montagnes
de neige et j'essaierai de me trouver un-e compagnon-e de voyage).
Avant-hier, je suis
allée visiter un petit village Naxi. En me perdant dans ses ruelles impasses
labyrinthes, j'ai rencontré un charmant retraité qui m'a fait visiter sa maison
"Quatre générations sous le même toit". Sa mère de 85 ans pratiquement
sourde et aveugle mais encore bavarde, rescapée des pieds bandés mais se débrouillant
encore bien avec sa canne, la belle-fille,
les deux petits-enfants, tout a fait taoqi
et adorables, un petit garçon de quatre ans qui court dans tous les sens en
avalant des glaces à la fraise à la chaîne et en grignotant des paquets de fangbianmian
sèches (ces paquets de nouilles qu'on trouve même à la Migros, repas de base
des célibataires paresseux et des délaissés), la petite cousine de deux ans et
demi qui chante et raconte des histoires, gribouille et finit les paquets
d'assaisonnement des mêmes fangbianmian (ceux qui ont goûté la version
chinoise, inévitable dans les trains, imaginent les grimaces que cela peut
provoquer, c'est pimenté et chimique). Excellente après-midi grâce à cet accueil
chaleureux qu'il m'a malheureusement fallu abréger (proscrire la prévoyance),
parce que j'avais déjà acheté mon billet pour Lijiang.
Trajet impossible à
l'arrière du car, coincée entre deux énormes Chinois dans des routes de
montagne. Juste la place de coincer mes fesses, donc aucune chance de
valdinguer sur mon siège, mais à chaque virage 90 kg sur chacune de mes épaules
alternativement, j'en ai des courbatures.
Hier, journée
paresse, lessive, promenades. Chants traditionnels sur la place : chant
antiphonique, une vieille marmonne et tout le cercle reprend à l'unisson et en
uniforme -costume traditionnel et casquette mao, étrange mélange. Mélopée
répétitive entraînant des rêveries épico-mythico-bucoliques. Le soir, j'ai
remis ça, avec la danse de la grenouille en prime. De nouveau passé des heures à discuter en
buvant du thé pendant l'après-midi, cette fois avec un artisan peintre et graveur
sur bois. Discussion hautement philosophique dépassant largement mon pauvre vocabulaire
à propos de l'artisan de Zhuangzi (boucher, forgeron... graveur), des deux
poissons (je vois pas du tout mais je dis duidui quand même), de l'influence de
la philosophie ancienne sur la pensée de Mao (j'ai dû promettre à plusieurs
reprises de lire ses oeuvres complètes), des 5000 ans d'histoire blablabla.
Tout cela doit continuer
ce soir, je suis invitée à manger... et à boire, mais j'ai averti que je ne
buvais pas de baijiu (l'alcool fort chinois, qui me donne la nausée rien
que de le respirer et dont le goût de pourri vous reste dans la bouche des
heures, si vous avez le malheur d'y goûter... surtout que si vous commencez on
ne vous laisse plus vous arrêter : énormément de neurones en moins au final).
Ce matin, je lis un
peu en chinois pour mettre à jour mon vocabulaire politique, philosophique,
historique et social, pour pouvoir tenir trois heures de bavardage arrosé,
ouille ! Allez, je m'y remets.